vendredi 8 février 2013

La France entre en guerre au Mali contre les Jihadistes par Jean-Pierre Campagne


Un soldat Français devant un char,  cagoulé en tête de mort. Crédit Photo: Issouf Sanogo 
Témoignage émouvant d’un Malien lors des affrontements entre troupes Françaises et rebelles Islamistes
Par Jean-Pierre CAMPAGNE

BAMAKO, 17 jan 2013 - "J'arrosais mes arbres dans la cour quand le premier bombardement a éclaté. J'ai lâché mes deux seaux et je suis rentré à la maison", raconte Sidi. Samedi 12 janvier, midi: l'aviation française commençait à pilonner les islamistes à Gao, dans le nord du Mali.
Sidi, journaliste, rencontré à Bamako, requiert l'anonymat. Preuve s'il en était besoin, que, même chassés de Gao par l'offensive aérienne française, les islamistes restent redoutés par la population de cette ville du nord du Mali.
"Ils ont visé la direction régionale des douanes, le quartier général d'Ansar Dine dans Gao. La maison tremblait, j'entendais tout, j'habite à 400 m", poursuit Sidi.
Gao est l'une des principales villes du nord du Mali, tombées il y a neuf mois aux mains de groupes islamistes armés, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Ansar Dine (Défenseurs de l'islam) et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'ouest (Mujao).
Les bombardements ont duré une heure. "Des passages d'avion, Ansar Dine réplique, puis dix minutes de calme, et un autre passage, et ainsi de suite".
Sidi, sa femme et leur enfant de 7 ans restent terrés chez eux, ils ne sortent qu'en fin d'après-midi, bien après la fin des bombardements, "car les islamistes tiraient en l'air".


"Nous nous souvenions de l'attaque du 31 mars 2012 des islamistes, beaucoup de gens avaient été tués par des balles perdues".
Il poursuit: "quand j'ai entendu parler sonraï (langue locale) dans la rue, et non arabe, j'ai compris que je pouvais sortir".
Sidi part à la direction générale des douanes, "constater les dégâts".
"C'était un bâtiment de trois étages carrément pulvérisé, on voyait des 4x4 calcinés, j'ai compté une douzaine de tués. J'ai sorti mon téléphone, j'ai pris des photos".
Fuite de la population arabe
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Les habitants sont "aux anges", mais ont peur de manifester leur joie car des islamistes, à bord de pick-up, reviennent en ville pour leur demander d'aider à transporter cadavres et blessés à l'hôpital. "Nous sommes musulmans, nous respectons les morts", souligne Sidi, qui voit des dizaines de cadavres à la morgue.
Puis les habitants ont été appelés par les islamistes à se rassembler pour prier les morts, "tués par les mécréants".
"Mais je suis sûr que sous les décombres, il reste des corps, ça sent", poursuit-il.
D'après Sidi, les victimes sont toutes des combattants islamistes: "les frappes étaient tellement bien ciblées qu'il n'y a pas eu un mort, un blessé parmi nous (les civils)".
Un verger, qui servait d'entrepôt au Mujao pour des armes et munitions venues d'Algérie, a été "rasé".
Sidi affirme que des enfants de moins de 15 ans sont recrutés par les islamistes. "Ils les paient bien, leur promettent le paradis s'ils meurent".
Revirement de l'actualité, les islamistes demandent désormais aux femmes de ne plus se voiler, "car ils craignent que, sous les voiles, des soldats maliens ne se cachent", explique Sidi, qui poursuit: "même les jeunes se sont remis à fumer".
Le lendemain, les islamistes quittaient la ville et tous "les Arabes locaux, complices des islamistes, ont vidé leurs magasins et ont fui".
Il s'inquiète cependant pour Gao.
"La ville est prise en otage. Les frontières avec le Niger et l'Algérie sont fermées, nous n'avons plus de ravitaillement (farine, pâtes, huile, lait...), on craint une famine".
Il soupire, puis sourit: "Enfin, la nuit du 12 janvier, j'ai très bien dormi".


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Mali: Niono, dernier poste avancé de l'armée malienne sur la route de Diabali (REPORTAGE)
Par Jean-Pierre CAMPAGNE

NIONO (Mali), 19 jan 2013 - Trois blindés français franchissent le pont métallique sur le fleuve Niger, croisent un véhicule de l'armée malienne, monté d'une mitrailleuse. Passé le pont, la route pénètre en zone de guerre, vers Diabali, ville prise puis abandonnée par les islamistes armés du Mali.
Soixante-dix km de savane plus loin, Niono, dernière ville accessible en direction de Diabali, située à quelques 350 km au nord-est de Bamako. La ville avait été prise lundi par les islamistes, qui l'ont abandonnée jeudi, selon l'armée malienne, après d'intenses bombardements de l'aviation française.
Dans Niono, seule l'armée malienne est là, pas de présence française visible. De petits groupes de soldats patrouillent dans le marché de la ville aux rues de latérite. D'autres veillent à l'ombre de manguiers. L'atmosphère est à la vigilance.
Le Colonel Keba Sangaré, coordinateur de la région militaire de Tombouctou, dont font partie Diabali et Niolo, est confiant.
"L'ennemi a fui, nous nous apprêtons à y entrer. Mais nous ne voulons pas y aller en solitaire, c'est une opération multinationale", explique-t-il, debout devant le petit camp militaire. Il poursuit: "L'ennemi se cherche, il n'est plus regroupé comme avant avec des centaines de Toyota".
A cent mètres, le préfet de la région, Seydou Traoré, a un problème immédiat: impossible de retrouver la clé du pont mobile qui enjambe le canal vers Diabali. Il explique à l'AFP: "Tous les soirs, à 18 heures, je fais lever le pont mobile pour empêcher les assaillants de pénétrer dans la ville".
Il craint les infiltrations des islamistes car, même défaits, "ce sont des guerriers". "Dans leur fuite précipitée, ils ont laissé, volontairement ou non, des hommes qui sont restés éparpillés. Certains reviennent sous divers déguisements".
Un émissaire pour Diabali
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Monsieur le préfet, saharienne beige, "très sollicité ces jours-ci depuis la déflagration", va envoyer un émissaire à Diabali. "Dites aux gens de sortir de chez eux, que l'atmosphère se détende un peu", lui demande-t-il.
L'émissaire, en civil, semble un peu hésitant, et, à la question du journaliste de savoir s'il va réussir à franchir sans encombre cette zone de 60 km non sécurisée par l'armée malienne, il murmure qu'il "va faire tout son possible pour réussir".
Selon le préfet, les islamistes "ont laissé des tas de munitions et de grenades" dans Diabali. Il a conseillé à la population de ne "pas s'en approcher".
Lorsqu'un bus arrive de Diabali, tous les passagers doivent descendre, ouvrir leurs nombreux bagages qui sont fouillés par les militaires à la recherche d'éventuelles armes et d'islamistes tentant de fuir.
A Segou, ville située plus au sud en direction de Bamako, "un islamiste a été attrapé hier soir avec un pistolet caché sous sa djellaba", affirmait samedi un habitant.
A la sortie nord de Niono, l'armée malienne bloque impitoyablement le passage vers Diabali, seules les charrettes tirées par de petits ânes et quelques habitants en vélo franchissent le barrage.
Dans l'autre sens, une jeune femme arrive à pied à Niono, épuisée. Deux enfants aux pieds nus, regards fixes, marchent à ses côtés sous le soleil. Elle porte un troisième caché dans son dos, dont on n'aperçoit que la plante des pieds.
Aminata Founda a fui Diabali, elle a marché car elle n'avait pas d'argent pour se payer un transport. Combien de jours a-t-elle marché avec ses trois enfants? Elle compte sur ses doigts: six jours.
Elle a quitté Diabali car "elle a eu peur des islamistes". Son but est maintenant de rejoindre Alatonda, le village de son père, loin dans la brousse, loin de la guerre.


Mali-conflit-France-Qaïda,
Mali: soldats français et maliens acclamés à Diabali libérée des islamistes (REPORTAGE)
Par Jean-Pierre CAMPAGNE

DIABALI (Mali), 21 jan 2013 - Drapeau français, applaudissements et acclamations: la population de Diabali, à 400 km au nord de Bamako, a salué lundi les 200 soldats français et maliens qui ont pénétré dans la ville, tout juste une semaine après sa chute aux mains des islamistes armés.
"Ça me plaît beaucoup", témoigne Mohamed Suribuhari, commerçant, l'un des rares à parler français. "On était menacé par les djihadistes, on a passé longtemps sans sortir. Mais après les bombardements, ils ont pris la tangente, le dernier convoi a quitté vendredi soir", dit-il.
"Mais ils ont laissé des munitions, j'ai vu deux caisses de grenades", poursuit-il. Son voisin renchérit: "j'en ai vu beaucoup plus".
Tous brandissent leurs téléphones portables pour prendre en photo les "libérateurs". Il est vrai qu'ils ne peuvent s'en servir pour téléphoner, les islamistes ayant saboté les émetteurs, pour éviter que les habitants ne donnent des renseignements.
Une autre habitante, Fatumata Damele, vient de revenir en ville: "J'avais fui les islamistes, je suis rentrée hier. Je fais des prières pour la réussite de la mission française".
Sur la place centrale de Diabali, qui sert aussi de terrain de foot en dépit des pierres qui la parsèment, se présente le maire, Omar Diakité, la poitrine ceinte du drapeau malien. "Les habitants commencent à revenir, mais les explosifs sont dangereux pour les enfants", explique-t-il.
Soldats français et maliens craignent aussi que les islamistes aient posé des mines ou des pièges.
Soudain, le sergent Patrick et ses hommes sont alertés par un habitant, qui veut les conduire à une cache d'armes.
Devant un petit entrepôt de sacs de riz, un trou couvert de terre fraîche. Les soldats passent un détecteur de mines, creusent à la main, rien. Les soldats partent fouiller plus loin, vers le "quartier Berlin", où se trouveraient des munitions.
Laisser la ville aux Maliens
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"Il y a un problème de munitions non explosées", explique à l'AFP le colonel français Frédéric, chef des opérations dans le secteur. "On va les aider, leur donner des conseils. Mais nous n'avons pas vocation à rester ici, nous laisserons la ville aux Maliens ce soir".
Des adolescents surgissent en moto, brandissant un long drapeau français, qu'ils accrochent aux poteaux tordus du terrain de football.
A 100 mètres, le camp militaire abandonné par l'armée malienne le 14 janvier, dans lequel s'étaient installés les islamistes, est livré aux ânes et aux chèvres.
Des pick-up, un hangar, ont été calcinés par les frappes aériennes de l'aviation française ces jours derniers.
On y voit des balles de Kalachnikov, des grenades dégoupillées, mais non explosées. Dans un coin, des perfusions accrochées à des bâtons plantés dans le sol, vraisemblablement pour soigner les blessés islamistes.
Ceux-ci sont invisibles et les soldats français et maliens n'ont rencontré aucune résistance. D'après les habitants, les djihadistes avaient abandonné Diabali dès vendredi, après les frappes aériennes.
 

Mali-conflit-France-Qaïda-touareg-droits de l’homme
La grande peur des Touareg maliens, menacés d'exactions (ACTUALISATION, REPORTAGE)

Par Jean-Pierre CAMPAGNE


SEGOU (Mali), 23 jan 2013 - "Si vous donnez nos noms, on est morts". Dans son échoppe artisanale, l'un des rares touareg à être restés malgré les menaces à Ségou, ville située à 270 km au nord-est de Bamako, fait mine de se trancher la gorge.
Depuis les revers militaires des islamistes frappés par l'aviation française à partir du 11 janvier, les Touareg et Arabes maliens, souvent assimilés aux "terroristes" par les populations noires qui ont eu à souffrir des exactions des djihadistes, ont à leur tour "beaucoup peur".
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a même accusé mercredi des soldats de l'armée malienne d'avoir perpétré "une série d'exécutions sommaires" dans l'ouest et le centre du Mali et réclame la création "immédiate" d'une commission d'enquête indépendante.
"Ici, si tu es enturbanné, barbu et que tu portes un boubou touareg, tu es menacé", affirme l'artisan de Ségou, qui tient échoppe dans une rue qui donne sur le large fleuve Niger, proche de quelques hôtels pour touristes.
Il a cependant gardé son turban vert, sa barbe et son boubou blanc: "On me dit d'enlever le turban pour être moins repéré, je dis non", poursuit-il.
En revanche, l'un de ses fils présent dans l'atelier "a préféré raser sa barbe et enlever le turban pour être tranquille".
"Depuis que la guerre a commencé à Konna, c'est devenu très, très dangereux pour nous". Konna, ville située plus au nord, avait été prise par les islamistes au cours d'une offensive surprise qui avait balayé l'armée malienne peu avant l'intervention française.
Selon l'artisan, "beaucoup, beaucoup de Touareg sont partis" depuis le 11 janvier, en raison de menaces d'exactions et de représailles. Ils ont fui au Burkina Faso voisin.
Son voisin de boutique, qui porte aussi turban et barbe, acquiesce. "On a peur de sortir, ils disent qu'on est avec eux, mais non. On est musulmans, pas terroristes".
Arrivé à Ségou en 1985, depuis Tombouctou, pour "mieux gagner sa vie", il dit, d'une voix soudain très basse, avoir maintenant des "problèmes de faim".
"Pas d'amalgame"
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Depuis des enlèvements d'étrangers en 2011, puis l'offensive en mars 2012 des islamistes qui se sont emparés de tout le Nord du Mali, le tourisme s'est écroulé, dans l'un des pays les plus pauvres au monde.
Les artisans n'arrivent plus à écouler leurs boites en cuir de dromadaire, leurs cadres de miroir en bois, leurs bagues d'argent et leurs couteaux.
Pourquoi restent-ils malgré leur peur? Le premier désigne du regard sa boutique aux piliers de bois plantés dans le sable, le toit en feuilles de palme tressées: "Si on fuit, on ne retrouvera plus rien, on nous aura tout pris. Et comment reconstruire, avec quel argent?".
Mais l'artisan touareg avoue: "Je ne vais plus en ville, seulement de la boutique à chez moi, vite fait".
Et Yakouba, jeune habitant bambara (l'ethnie majoritaire au Mali, noire) natif de Ségou, confirme: "Oui, tous ceux qui ont une peau un peu blanche sont menacés, ce n'est pas bien, çà, ils n'osent plus bouger".
Des représentants des communautés arabes et touareg - qui constituent la majeure partie des membres des groupes islamistes armés - ont tout récemment fait état de violences.
Le premier adjoint au maire de Segou, Madani Mniang, minimise les craintes des Touareg. "Il n'y a pas d'exactions contre eux, on a toujours vécu ensemble, bambara et touareg. Mais il est vrai que, depuis une semaine, porter le turban en ville est assimilé aux terroristes. On leur conseille de l'enlever", explique-t-il à l'AFP.
"Il ne faut pas faire l'amalgame", a tenu à dire le chef d'état-major de l'armée malienne, ajoutant. "Toute peau blanche n'est pas terroriste ou jihadiste et parmi l'ennemi qui a attaqué nos différentes positions, il y avait beaucoup de peaux noires".
Mardi à Diabali, un homme à la peau noire, accusé de collaboration avec les islamistes qui ont occupé la ville la semaine dernière avant de l'abandonner après des raids aériens de l'armée française, s'est plaint d'avoir été frappé par des habitants, a constaté un photographe de l'AFP.
Nomades du Sahara d'origine berbère, les Touareg, estimés à un peu plus de 500.000 personnes sur 16 millions de Maliens, sont en rébellion depuis des décennies contre ce qu'ils considèrent comme la domination des sédentaires noirs du Sud.

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Deux Maliens "à la peau claire" abattus à Niono par l'armée malienne (entourage)

SEGOU (Mali), 24 jan 2013 - Deux habitants de la région de Niono, à 370 km au nord de Bamako, ont été abattus vendredi par l'armée malienne, selon les affirmations de leur entourage à un journaliste malien.
Ce journaliste malien, Seidi, de retour à Ségou, plus au sud sur la route vers Bamako, a rapporté jeudi soir ce témoignage à l'AFP:
Les exécutions sommaires ont eu lieu dans le village de Seribala, quartier de Medin, à 20 km de Niono.
Le cousin de la première victime, Ali Ag Noh, a raconté : "deux pick-up de l'armée sont entrés dans le quartier, ils sont partis tout droit au domicile de mon cousin, Aboubakrim Ag Mohamed qui est Touareg. C'était un marabout de 38 ans, mariée, vivant à Siribala depuis 5 ans". "Les militaires ont dit : nous savons que tu es un islamiste. Il s'est levé pour s'expliquer, ils l'ont tiré a bout portant".
Puis, ce même cousin affirme au journaliste malien que les soldats vont dans la maison contiguë où se trouvait Samba Dicko, un éleveur peul de bétail, marié, 11 enfants. "Ils lui disent: nous savons que toi aussi tu es complice des jihadistes. Ils l'ont abattu et lui ont piqué son argent".
Les deux ont été enterrés dans la cour de la première maison.
Le cousin déclare au journaliste malien avoir peur, "je n'ai nul endroit où aller". Les soldats maliens ne sont pas revenus depuis dans la quartier.
A Diabali, 40 km plus au nord, ville prise par les islamistes le 14 janvier et contrôlée depuis lundi par les armées française et malienne, un vieux berger affirme jeudi au journaliste malien avoir été frappé mardi par un soldat malien.
De retour d'un pâturage, Algoumati Bilal, berger, a rencontré des militaires qui lui ont demandé ses papiers d'identité, avant de le frapper à coup de ceinturon sur le crâne "à cause, dit-il, de la couleur claire de ma peau et de ma barbe". Agé de 72 ans, il vit depuis 40 ans à Diabali.
Un colonel de l'armée malienne et le maire sont venus le lendemain s'excuser auprès du berger, affirme le vieil homme.
Depuis les revers militaires des islamistes, frappés par l'aviation française dès le 11 janvier, des exactions contre des Maliens à la peau claire (Touaregs, peuls, arabes) sont rapportées car ils sont assimilés aux jihadistes qui, depuis mars 2012, ont usé de violences envers les populations noires.

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Le vieux Pedro, seul Blanc de Ségou, reste car "il faut bien mourir quelque part" (PORTRAIT) Par Jean-Pierre CAMPAGNE

SEGOU (Mali), 24 jan 2013 - Barbe et cheveux blancs en broussaille, Pedro, Espagnol de 77 ans, ne s'est pas enfui de la ville malienne de Ségou comme les autres Blancs menacés par les islamistes. "Il faut bien mourir quelque part", commente-t-il avec sérénité.
Pedro a ses habitudes. Un matin sur deux, il s'installe dans la cour intérieure d'un hôtel de la ville située à 270 km au nord-est de Bamako, doté du wifi, pour consulter internet sur un très vieil ordinateur portable qui semble dater des premières heures de l'informatique.
Un serveur apporte aussitôt un café noir, "voici monsieur Pedro!". Il allume une cigarette blonde, qu'il fume à la chaîne, lance un programme de musique classique d'une radio catalane et puis consulte, lentement, El Païs, Le Monde, le Times.
"Ils sont tous partis, tous les autres Blancs. Je n'ai pas peur, c'est comme ça", raconte simplement ce Catalan, ancien économiste à Barcelone, qui parle un bon français d'une voix basse, depuis longtemps à la retraite.
"Ceux qui travaillaient dans des projets de développement, pour les ONG, les patrons d'hôtels ont quitté, je me suis retrouvé seul blanc, avec les Africains".
La fuite précipitée des Blancs est intervenue à la suite des menaces des islamistes qui se sont déclarés prêts à frapper partout au Mali, après le début de l'offensive militaire française contre leurs positions, dès le 11 janvier.
L'ambassade espagnole à Bamako a bien essayé de lui faire quitter Ségou, à peine à 100 km au sud de Diabali, prise quelques jours par les djihadistes.
"Ils m'envoyaient des SMS, il faut prendre des précautions monsieur Pedro, et puis après, il faut quitter!. N'insistez pas, je leur ai dit, je reste".
Arrivé à Segou il y a six ans, Pedro Ros est voyageur depuis longtemps.
"C'est ici ma vie"
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"Depuis tout petit, j'avais envie de découvrir l'Afrique. J'ai traversé le Maroc, le Sahara, la Mauritanie, le Sénégal... jusqu'au Cameroun. Et puis le Mali, Gao, Tombouctou, l'habituel trajet, et je me suis dit, tiens, ça c'est un bon pays, c'est ici ma vie".
Il travaille alors pour la Croix-Rouge malienne, sur un projet de sensibilisation consacré aux mutilations génitales des femmes ("Je ne connaissais rien de ce problème"), puis se lance dans la construction d'une école avec une aide de l'Espagne.
"Nous l'avons fait, ca fait deux ans que ça marche, à Mouni, dans la zone de Bobofing, au sud-est de Segou".
Il est sur un autre projet d'installation d'un moulin à grains, dans un pays où la population, à 85% rurale, reste très pauvre.
Pedro, à la voix murmurante, semble un peu fatigué. Il n'écrase pas ses mégots dans le cendrier, il se contente de les déposer...
Il ne retourne plus en Espagne, il n'a plus de famille, si ce n'est un cousin en Galice, et une cousine aux Etats-Unis.
Sa famille est africaine, à Ségou. "J'ai épousé une Malienne, qui s'appelle Genevière car elle est chrétienne, nous avons un enfant qui aura bientôt deux ans, Kim Pedro".
Le serveur lui apporte un petit déjeuner, sans qu'il ait à le commander. On pose une serviette sur la tasse de café, pour éviter les mouches.
Pedro prend le temps de se raconter, il n'est pas pressé de manger. A 77 ans, il semble avoir tout son temps.
Pour les soins, il va "de temps en temps à l'hôpital, pour un palu". Quant à ses dents plutôt abîmées, il est vrai que "les dentistes de Ségou ne sont pas les meilleurs"....
"Je me tiens informé de l'actualité, mais, finalement, je ne comprends rien à la marche du monde", reconnaît-il. Il ne va plus à Bamako: "c'est de la folie là-bas, trop de monde".
En location, il a même le projet d'acheter un terrain et faire construire une maison. Sa retraite espagnole tombe régulièrement, mais il a oublié comment convertir les francs CFA en Euros.
Après trois heures de lecture en musique, il part retrouver sa famille et "déjeuner à l'africaine".
Après son départ, un jeune serveur s'exclame: "Ah! Monsieur Pedro, il va mourir au Mali!"

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Segou s'organise contre les infiltrations des djihadistes (PAPIER D'ANGLE)
Par Jean-Pierre CAMPAGNE

SEGOU (Mali), 24 jan 2013 (AFP) - Ségou a fêté jeudi dans la discrétion l'anniversaire de la naissance du Prophète, le Maouloud, d'ordinaire l'occasion de grands rassemblements. Dans la crainte d'infiltrations islamistes, toute manifestation sur la voie publique a été interdite dans cette ville de l'ouest du Mali.
"Nous sommes dans un état d'urgence. Nous prenons plusieurs dispositions pour éviter des attaques des islamistes", a expliqué à l'AFP Madani Mniang, premier adjoint au maire de Ségou (650 km au nord-est de Bamako). "J'ai interdit aux familles religieuses d'organiser le Maouloud sur la voie publique, je leur ai demandé de se cantonner aux mosquées ou bien aux cours et jardins intérieurs des maisons".
Les intégristes islamistes, notamment salafistes, dénoncent le Maouloud comme une innovation s'apparentant à la célébration chrétienne de la naissance de Jésus, rappelle l'adjoint.
Depuis les frappes aériennes françaises contre Diabali le 14 janvier, à quelques 100 km au nord, les islamistes ont fui et se sont disséminés dans la région.
"Ces islamistes sont contre le prophète", estime l'adjoint. "Ce sont des trafiquants d'hommes, d'armes, de drogue. Or la religion condamne tout cela".
Dès la tombée du jour, les rues de Ségou plongées dans le noir restent désertes. Les habitants rentrent tôt chez eux, restaurants et night-clubs ne font pas des affaires.
A l'embarcadère du fleuve Niger, les traversées des deux bacs doivent s'arrêter impérativement à 18 heures. Les nombreux ânes qui transportent inlassablement marchandises et personnes se reposent plus tôt que d'habitude, seuls quelques militaires nonchalants prennent la relève.
"Peau blanche"
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"Ils ont demandé aux pêcheurs de faire attention, de ne pas prendre n'importe qui à bord pour traverser le fleuve. D'ordinaire, la traversée est très facile", raconte un hôtelier dont l'établissement est à proximité du Niger.
Des soldats patrouillent les rives du fleuve, affirme l'adjoint au maire, mais ils sont peu visibles.
Le jour de la grande foire hebdomadaire, lundi, les accès au marché alimentaire étaient très filtrés. "On voulait éviter tout risque d'attaque", dit Madani Mniang.
Selon lui, quelques islamistes se sont infiltrés dans Ségou, ville essentiellement bambara (ethnie noire majoritaire) du Mali peuplée de 130.000 habitants, très étendue avec beaucoup de grands espaces cultivés, impossibles à contrôler.
"Trois d'entre eux, en tenue civile, mais avec des armes ont été arrêtés, ils ont été remis à la disposition du procureur", affirme-t-il.
Difficile d'apprécier exactement les risques d'infiltrations. Parmi les djihadistes, beaucoup étaient de jeunes noirs maliens qui ont trouvé l'occasion de gagner soudain beaucoup d'argent, selon un journaliste malien originaire du nord, Sedi. Ceux-là peuvent rapidement se fondre parmi la population et se chercher un nouveau destin.
La police de Ségou a diffusé plusieurs numéros de téléphone que les habitants peuvent appeler, s'ils repèrent des suspects.
Mais un turban de touareg ou d'arabe (deux communautés dont sont issus la majorité des islamistes armés), une "peau blanche", peuvent être vite assimilés à un djihadiste par une population choquée par les exactions des islamistes (lapidations, amputations) à l'encontre des habitants de Gao et Tombouctou, deux des grandes villes du Nord.
Dans la mairie, l'adjoint tend une feuille qui récapitule les dispositions sécuritaires. Parmi elles, l'interdiction "de s'approcher de moins de 5 mètres" du grand château d'eau.

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